Anticipation des usages vs bénéfices pour l’apprenant
Il y a quelques semaines j’avais publié un article sur ce site consacré à l’effet diligence. Il s’agit de cet effet qui conduit, lors de l’apparition d’une nouvelle technologie, à transposer les formes et les usages antérieurs avant de pouvoir dépasser ce stade et développer de nouvelles fonctionnalités. Ainsi les premières voitures ressemblaient à des diligences, avant de se transformer complètement.
Parfois, les anticipations technologiques que nous faisons nous conduisent à imaginer des usages qui ne se réalisent pas, même quand la technologie devient disponible.
Je vous invite pour illustrer ce propos à consulter un post de Xavier Delaporte sur InternetActu relatant un papier de Keith Kleiner consacré au chat vidéo. Dans cet article, Keith Kleiner s’interroge sur la faible utilisation du chat vidéo, alors que lorsque l’on observe les films de science fiction, le mode de communication du futur est très souvent représenté sous cette forme. Pourquoi, maintenant que la technologie est disponible gratuitement, les utilisateurs ne la plébiscite pas ? Je vous renvoie à l’article pour connaître la réponse complète développée par l’auteur. Je vais plutôt ici essayer de transposer cette analyse au contexte du e-learning.
Keith Kleiner exclue les causes technologiques liées à la qualité de la vidéo. Il indique que cela n’empêche pas les internautes de visualiser des vidéos de mauvaise qualité sur Youtube prises à partir de téléphones portables. Dans le monde du e-learning, nous avons fait ce constat depuis très longtemps. Le média a peu d’importance.
Il voit plutôt les causes de cette faible utilisation dans le type d’interactions sociales entre êtres humains que veulent mettre en place deux interlocuteurs. La question centrale est donc la communication et non la technologie.
Dans la construction des dispositifs e-learning, nous sommes confrontés à ces questions : quand doit-on utiliser des technologies synchrones ? Asynchrones ? Que fait-on du mobile Learning ? Faut-il mettre la vidéo de l’animateur dans une classe virtuelle ? Et celles des apprenants ? Faut-il laisser le chat privé entre utilisateurs actif lors de classes virtuelles ?… Nous serons de plus en plus confrontés à des nouvelles questions de ce type et nous pouvons voir que nos anticipations basées sur les capacités de la technologie nous abusent parfois (souvent ?). De même la transposition des pratiques de la formation présentielle peut également nous induire en erreur. Prenons par exemple l’usage du chat privé dans les classes virtuelles. Beaucoup de formateurs que j’accompagne souhaitent ne pas autoriser les apprenants à utiliser le chat privé pendant le cours. Ils transposent la notion de bavardage pendant la classe. Or, dans le contexte est très différent de la salle de cours. Le bavardage ne fait pas de bruit. Le fait de ne pas bavarder ne garantit pas une écoute attentive (ce qui est vrai dans la salle de cours également ;-). L’apprenant peut réécouter le formateur sans lui demander de répéter grâce à l’enregistrement. Et surtout, les moments synchrones sont des moments d’échanges entre les participants qui développent l’appartenance à une communauté ce qui est à la fois essentiel dans une formation, et plus difficile à construire dans une formation à distance. Il faut donc ouvrir ces fonctions car elles sont bénéfiques pour l’apprenant.
Il s’agit donc pour les concepteurs de revenir en permanence à la notion de bénéfice pour l’apprenant. Il faut être à l’écoute, observer. J’ai assisté hier soir à une conférence d’Eliott Masie sur les usages de l’Ipad. Il indiquait qu’un des usages les plus répandus était l’utilisation comme un deuxième écran. On utilise l’Ipad en même temps que la télévision, ou en même temps qu’un ordinateur. J’ai souris car je me suis reconnu comme utilisateur. Cet usage n’est pas évident a priori. Ce que recherche l’utilisateur c’est la synchronicité et la complémentarité. Cela implique des contenus différents, qui se complètent entre les types de terminaux. Le rôle du concepteur est donc de plus en plus d’observer, d’analyser les usages, de concevoir des contenus adaptés à ces usages, mais aussi de promouvoir de nouveaux usages et de favoriser le partage des bonnes pratiques. C’est évidemment une aventure passionnante !