Eric Pereira, vous êtes ingénieur pédagogique en FOAD, pouvez-vous nous dire comment vous en êtes arrivé là ?

Je suis arrivé dans le monde de la formation par conviction, rien n’est dû au hasard. J’ai, très jeune, été dérouté par la manière dont mes instituteurs, professeurs, etc., enseignaient. Je ne comprenais pas souvent leur langage qui était une véritable langue étrangère pour moi. J’avais besoin de comprendre, et je posais beaucoup de questions. Cela finissait souvent par gêner mes enseignants qui pensaient même que je cherchais à les ennuyer, ce qui n’était pas le cas.

Cela a provoqué chez moi une forte envie de changer les choses. Une manière de me rebeller contre ce que je considérais comme une injustice. J’ai donc appris beaucoup, de manière autodidacte, j’ai passé des heures à travailler, à lire, à vouloir comprendre. J’ai testé, échoué, recommencé. 

Et puis, suite à un échec professionnel, j’ai décidé de m’engager dans l’enseignement, je suis entré par la petite porte, et suis devenu enseignant en sécurité routière. Une révélation. La formation à la pédagogie, qui mettait encore en avant à cette époque le béhaviorisme, m’a tout à coup fait comprendre quel était mon problème, et celui de beaucoup d’autres. Je suis né à ce moment de ma vie, quand j’ai compris que c’était l’approche pédagogique qui n’était pas adaptée à mes besoins. Je n’étais pas un cancre, mais une personne qui avait besoin de comprendre le sens de ses apprentissages.

J’ai donc suivi toutes les formations possibles pouvant m’aider à comprendre de quelle manière je pourrais aider les gens à mieux apprendre. Le rythme de ces formations est d’environ une toute les quatre années depuis plus de vingt-cinq ans. Les dernières m’ayant conduite à devenir chef de projet en formation digitale, puis ingénieur en e-formation avec un Master 2 suivit à l’université de Rennes 1.

Et donc, vous dites que vous avez compris comment aider les gens qui veulent apprendre, mais comment ?

Je ne comprenais pas le sens des consignes de mes enseignants, les objectifs ne m’apparaissaient pas clairement. Cela me semblait tellement éloignée de mes préoccupations d’enfant.

Apprendre par avance, des choses que l’on aura « peut-être » l’opportunité de réutiliser, dans un autre contexte, sur la base de ses souvenirs, est, à mon sens, une utopie. Je ne renie pas les tables de multiplication apprises par cœur à l’école, parce qu’elles m’ont été utiles très tôt, et donc elles ont pris du sens. Mais, les problèmes en mathématiques me semblaient tellement éloignés de « ma » réalité d’enfant, que c’en était de la science-fiction. 

Toutes ces choses que j’ai dû, comme tous mes camarades, apprendre m’ont posé beaucoup de problèmes. Et, là où mes camarades semblaient se familiariser avec toutes ces choses, moi j’y voyais une sorte de torture. Pourquoi je parle de torture ? Parce qu’il est très difficile, et surtout très frustrant, de s’acharner à comprendre, à vouloir bien faire, sans que jamais personne ne s’en aperçoive. Et comme les évaluations étaient toutes basées sur les résultats, mes notes étaient catastrophiques. S’ensuivaient alors ces moments pénibles où les instituteurs expliquaient à mes parents que j’avais de grandes capacités, mais que j’étais un paresseux. Je pouvais donc mieux faire.

Oui, je pouvais mieux faire, mais comment ? Jamais aucun instituteur, ou enseignant ne s’est posé la question de la démarche que je mettais en œuvre pour apprendre. Comme si apprendre à l’école était inscrit dans mon ADN, comme un instinct.

Jamais personne ne m’a aidé à apprendre à apprendre. 

J’ai donc, à force d’apprentissages, de remises en question, appris à apprendre. J’ai appris à mettre en œuvre de nouvelles stratégies, j’ai testé, innové, échoué, recommencé. Et désormais, dans toutes les formations que je propose, ma priorité est d’aider l’apprenant à définir quelles sont pour lui les stratégies les mieux adaptées pour ses apprentissages. 

Vous dites que vous aidez vos apprenants à trouver les stratégies les plus adaptées à leurs apprentissages, mais concrètement comment agissez-vous pour cela ?

Il existe beaucoup de méthodes pour cela, que je n’ai pas inventées d’ailleurs. Mais, comme tout ingénieur pédagogique, et même comme formateur, j’ai beaucoup lu ce que disent les experts de la psychologie cognitive, et maintenant des neurosciences, qui ont beaucoup avancé ces dernières années.

Cela consiste, par exemple, en un énoncé clair des attentes, un objectif pédagogique clairement identifié. Un contenu de formation en lien avec l’objectif et une évaluation qui l’est également. On parle alors d’alignement pédagogique. 

Bien souvent on commence par une mise en situation, liée à l’activité professionnelle de l’apprenant. Cela peut être lui demander d’analyser une étude de cas, de résoudre un problème, ou encore de réaliser un projet. Il y a toujours dans mes formations des productions à réaliser. Celles-ci sont d’ordres différents selon les sujets et le niveau attendu. Mais il ne s’agit pas pour moi d’en évaluer uniquement le résultat, et donc d’attendre la production pour en donner une notation. Il s’agit avant tout d’accompagner chaque apprenant à déterminer le meilleur cheminement pour optimiser ses apprentissages. Chaque apprenant est invité à fournir ses productions dès le départ, au stade de l’ébauche. Ensuite, il s’agit de lui fournir des rétroactions argumentées, d’échanger avec lui pour comprendre son raisonnement, et de l’aider à comprendre que parfois il serait préférable d’en changer. Cela a pour but de mettre en œuvre chez l’apprenant la métacognition, l’observation de ses propres processus cognitifs. Le droit à l’erreur est bien entendu autorisé, voire même incité, avec des recadrages réguliers par le  formateur qui l’invite à réfléchir sur celles-ci et à y remédier.

Il ne peut-être développé de compétences que si les savoirs, savoir-faire, ou encore savoir-être, sont utilisés pour une situation que l’apprenant ne connaît pas au départ. La formation action l’incite à mobiliser en lui les ressources indispensables à la mise en œuvre de compétences, sans lesquelles le problème ne peut être résolu. Le formateur a la charge de l’aider à trouver ses ressources, de l’aider à construire ses connaissances, et non de lui montrer comment résoudre le problème en cours.

Et donc, votre activité d’ingénieur est d’imaginer comment développer des compétences avec les outils d’aujourd’hui ?

Le travail d’ingénieur pédagogique en formation digitale est effectivement de toujours chercher à viser juste pour assurer l’efficacité des formations, du point de vue des apprenants.

Les outils digitaux sont au service de la formation, quand ils apportent une plus-value uniquement. Comme je l’ai dit plus tôt, la valeur fondamentale d’une formation c’est son accompagnement. Et, sans accompagnement, même si l’on met des outils performants aux mains des apprenants, ou au service de la formation, cette dernière s’avère inefficace.

Mais si l’ingénierie est bien réalisée, alors les outils numériques sont d’une redoutable efficacité, par exemple pour renforcer l’accompagnement. Parmi les outils qui sont intéressants, je citerai la classe virtuelle. Qui renforce l’accompagnement en formation, qui permet des moments d’échanges très forts du point de vue de la relation qui se crée entre les participants. Mais, même cet outil, n’est d’aucune valeur sans la volonté de créer du lien, d’accompagner. Et la scénarisation d’une modalité de cours en classe virtuelle doit être rigoureuse pour être efficace.

Et puis, cette modalité va dans le sens de ce que j’ai cité plus haut en proposant d’aider les apprenants à trouver les bonnes stratégies d’apprentissages. On propose par exemple des apprentissages collaboratifs, sur des sujets communs, pour lesquelles on a auparavant défini l’intérêt des apprenants pour le sens qu’ils leur donnent. Puis, on leur demande de se pencher sur le problème, ou de coconstruire une production, en collaborant ou en coopérant. Enfin, la classe virtuelle va intervenir à des étapes clés, et servir de phase de remédiation après des commentaires réalisés par le formateur. Ainsi, on favorise la métacognition, on modifie les représentations du groupe et on favorise la remédiation. Voici donc une des modalités que je propose régulièrement dans mes formations.

Les outils digitaux peuvent également être d’une grande aide pour favoriser les activités collaboratives, ou encore l’évaluation par les pairs. 

En conclusion, vous estimez que les outils sont indispensables pour rendre une formation efficace ?

Pas du tout ! Une formation est avant une affaire de relations humaines. L’homme est un être social et il a besoin de collaborer pour apprendre. Donc, la formation c’est d’abord une rencontre entre un apprenant, avec d’autres apprenants et un formateur. Mais, c’est la posture de ce dernier qui doit évoluer, car il n’est plus le sachant, celui qui détient la connaissance, l’expertise, et qui la transmet à grand renfort d’anecdotes. Le formateur devient un accompagnateur plutôt qu’un passeur, il devient un guide vers les connaissances qui sont désormais disponibles sur les réseaux, à la portée de tous.

Une fois encore, les outils permettent un accès facile à la connaissance, mais c’est bien le formateur qui invite les apprenants à l’acquérir, l’analyser, la critiquer, pour mieux la comprendre et l’utiliser. Si on laisse un apprenant apprendre seul devant des vidéos par exemple, l’ancrage mnésique sera naturellement faible. Mais si le formateur propose ces mêmes vidéos avec pour objectif de trouver des réponses à certaines questions permettant de résoudre leur problème, alors elles seront efficaces.

Les outils sont donc intéressants, nous font gagner du temps. Mais les outils ne sont que des moyens à disposition de la formation et rien de plus. 

Site web d’Éric Pereira www.pour-former.com