Le « Forfait parcours » au service de l’innovation en formation
Un point technico-réglementaire pour conforter le financement de l’innovation en formation avec des pratiques pédagogiques multimodales.
En novembre 2018, le FPSPP (Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnel), dont les missions ont été reprises par France Compétences en janvier 2019, était sur le point de publier une synthèse de travaux intitulée Préconisations pour une mise en œuvre opérationnelle du Forfait Parcours. Avec cette publication, le FPSPP rappelait ce que l’on entend par « Forfait Parcours » et soulignait l’intérêt de cette approche économique pour faciliter l’innovation pédagogique.
Qu’entend-on par « Forfait parcours » ?
Cette synthèse du FPSPP précisait la notion de parcours à l’aide des éléments ci-dessous.
Dans le cadre des marchés publics, «le prix forfaitaire ou global est celui qui rémunère le titulaire pour une prestation ou un ensemble de prestations, indépendamment des quantités mises en œuvre pour leur réalisation» (source : www.marche-public.fr). La mise en place de forfaits peut s’envisager à trois niveaux :
• La forfaitisation d’une prestation particulière consiste à définir une «unité d’œuvre» permettant de financer cette prestation sous forme d’un forfait unique indépendant des «quantités» mises en œuvre pour réaliser la prestation.
• La «forfaitisation d’un parcours» consiste à financer les différentes parties d’un parcours de développement de compétences de manière forfaitaire. La forfaitisation est directement liée aux moyens mis en œuvre. A chaque parcours correspond un forfait différent.
• La définition d’un «forfait parcours» consiste à définir un forfait de prise en charge globale d’un parcours sur la base de l’atteinte de l’objectif. Le forfait est lié à l’objectif visé et peut s’appliquer à des parcours mobilisant des moyens différents.
La «forfaitisation de parcours» revient à une addition de prestations prises en charge ; Le «forfait parcours» propose une approche plus globale centrée, en premier lieu, sur l’objectif visé par le parcours.
Un cadre législatif et réglementaire évolutif
La loi n°2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels a introduit la notion de parcours en modifiant, par son article 82, le deuxième alinéa de l’article L. 6353-1 du code du travail de la manière suivante : Les actions de formation peuvent être organisées sous la forme d’un parcours comprenant, outre les séquences de formation, le positionnement pédagogique, l’évaluation et l’accompagnement de la personne qui suit la formation et permettant d’adapter le programme et les modalités de déroulement de la formation.
En parallèle, l’article L. 6432-14 du code du travail permet au OPCA de prendre en charge, dans le cadre des contrats de professionnalisation, les parcours de formation sur la base de forfait ne faisant plus référence à l’unité d’œuvre horaire : Les organismes collecteurs paritaires agréés prennent en charge les parcours comprenant des actions de positionnement, d’évaluation, d’accompagnement et de formation prévues aux articles L. 6325-13 et L. 6325-23 sur la base de forfaits déterminés par convention ou accord collectif de branche […]
Le décret n°2017-382 du 22 mars 2017, adapte les dispositions réglementaires aux nouvelles modalités de déroulement des actions de formation qui peuvent être organisées sous forme de parcours. Elles peuvent être financées par les organismes paritaires agréés pour la collecte ou la gestion des sommes versées par les entreprises au titre de la formation professionnelle continue ou par Pôle emploi. Il précise que ce financement pourra se faire sur la base de forfaits qui ne seront plus limités à des forfaits horaires pour les actions de professionnalisation. Avec ces dispositions, le «Forfait parcours» devient réglementairement une réalité au moins pour les actions de professionnalisation.
La loi n°2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, par son article 4 définit l’action de formation en modifiant l’article L. 6313-2 de la manière suivante : L’action de formation […] se définit comme un parcours pédagogique permettant d’atteindre un objectif professionnel. Elle peut être réalisée en tout ou partie à distance. Elle peut également être réalisée en situation de travail. […]
Dans cette définition la notion de parcours reste. Toutefois, on parle de parcours pédagogique (et non plus de parcours) comprenant, outre les séquences de formation, le positionnement pédagogique, l’évaluation et l’accompagnement de la personne qui suit la formation et permettant d’adapter le programme et les modalités de déroulement de la formation.
Le décret n° 2018-1330 du 28 décembre 2018 précise les différentes modalités de mise en œuvre des actions de formation. Il créé en particulier l’article R. 6313-1 : L’action de formation […] peut être organisée selon différentes modalités de formation permettant d’acquérir des compétences. Selon les modalités de formation composant le parcours pédagogique, les moyens humains et techniques ainsi que les ressources pédagogiques, les conditions de prise en charge par les financeurs peuvent être différenciées. […]
Les termes mis en caractère gras ci-dessus indiquent que les financeurs(1) peuvent prendre en charge selon des modalités et des unités d’œuvre diverses et variées, dont potentiellement du forfait.
Par ailleurs, le décret n°2018-1342 du 28 décembre 2018 créé l’article D6332-85 qui précise les modalités de prise en charge des dépenses effectuées dans le cadre des actions financées par la section financière de l’alternance, notamment au titre des contrats de professionnalisation et de la reconversion ou promotion par l’alternance. Cet article indique :
« I.- L’opérateur de compétences prend en charge […] les contrats de professionnalisation au niveau de prise en charge fixé par les branches ou, à défaut d’accord, par un accord collectif conclu entre les organisations représentatives d’employeurs et de salariés signataires d’un accord constitutif d’un opérateur gestionnaire des fonds de la formation professionnelle continue.
II.- Le niveau de prise en charge correspond à un montant forfaitaire par contrat versé par l’opérateur de compétences. Il couvre tout ou partie des frais pédagogiques, des rémunérations et charges sociales légales et conventionnelles des stagiaires, ainsi que des frais de transport et d’hébergement.
III.- Le montant prévu au II est communiqué à France compétences par l’opérateur de compétences. »
Cet article fait explicitement référence à un montant forfaitaire par contrat assimilable à un «forfait parcours». Aujourd’hui, notons toutefois, que peu (voire aucun) des OPCO ne prend en charge les contrats de professionnalisation suivant un montant forfaitaire par contrat. L’unité d’œuvre de prise ne charge reste un montant horaire. Rappelons que les contrats d’apprentissage sont pris en charge sur la base d’un coût contrat annuel assimilable à un «forfait parcours».
Si nous regardons les conditions de prise en charge des différents financeurs, actuellement peu d’entre eux utilisent des montants forfaitaires par prestation. La Caisse des dépôts et de consignation permet l’affichage d’un prix forfaitaire par les organismes de formation dans le cadre de l’offre de formation éligible au Compte personnel de formation (CPF) visible sur l’application «Mon compte formation», et un OPCO prend en charge les Actions de formation en situation de travail sous forme de forfait.
L’intérêt du «Forfait parcours»
Le principal intérêt du «Forfait parcours» est de répondre opérationnellement à des situations de plus en plus fréquentes dans des parcours de type FOAD (Formation tout ou en partie à distance). Les apprenants ne sont pas soit dans le même lieu, soit dans le temps, ou les deux, que leurs équipes de formateurs-trices qui, par ailleurs, assurent toujours un accompagnement sous la forme d’une double assistance : pédagogique et technique. Le contrôle du temps n’a plus d’intérêt ; d’où l’élaboration ajustée d’un forfait-parcours par l’opérateur, au moment de la contractualisation avec le financeur de l’action de formation multimodale. Dans ce cas, la signature d’une feuille d’émargement disparaît pour les séquences non présentielles ! Cette bascule devrait aider, par exemple, les financeurs à mieux prendre en compte, d’une part la diversité des activités formatives dans un parcours et, d’autre part, leur mode d’accompagnement associés dont les modes asynchrones.
Ce «Forfait parcours» répond également de manière opérationnelle à la mise en en place des parcours de formation intégrant de la formation en situation de travail où des prestations de nature diverses (analyse du travail, séquence de formation en situation de travail, séquence réflexive distincte de la formation en situation de travail et séquences d’évaluation) sont mises en œuvre.
Avec le «Forfait parcours», on passe d’une logique de relevé de temps «par une présence» à une dynamique de traçabilité ajustée des activités formatives prévues «par un niveau d’assiduité». Pour attester de la réalité de l’action de formation, l’organisme de formation est tenu de collecter une série «d’éléments probants »(2) à présenter en cas de contrôle du financeur. Le FFFOD a produit un guide Formation multimodale ; attester de la réalité de l’action de formation. Ce guide est le fruit d’un travail collaboratif réalisé par le FFFOD en lien avec le ministère du Travail (délégation générale à l’Emploi et à la Formation professionnelle), afin de clarifier les règles applicables depuis le 1er janvier 2019. Il vise à promouvoir les bonnes pratiques de conception et de mise en œuvre des parcours de formation multimodaux. En particulier, il donne des repères sur les éléments probants possibles et leurs collectes ajustées.
La synthèse des travaux «Préconisations pour une mise en œuvre opérationnelle du Forfait Parcours» élaborée par le FPSPP en novembre 2018 à laquelle nous faisions référence au début de cet article relevait que «De l’avis de l’ensemble des acteurs qui ont participé à ces travaux (financeurs, entreprises, organismes de formation), la mise en place de forfaits parcours permettrait une rationalisation des parcours de développement de compétences dans une logique centrée sur les objectifs, recherchant l’optimisation des moyens de formation et leur adaptation aux besoins des apprenants, conciliant ainsi les intérêts des entreprises, des apprenants, des organismes de formation et des financeurs.»
Notre vision
Nous pensons que non seulement le forfait est aujourd’hui opérationnel pour faciliter la nouvelle relation «opérateur-financeur» dans un dialogue d’innovation, mais qu’à terme le forfait peut devenir la règle avec un bonus au résultat(3). Les Organismes prestataires d’action concourant au développement des compétences (OPAC), dont les organismes de formation, vont être de plus en plus «poussés» dans cette logique(4). Pour conclure, la possibilité réglementaire de différenciation des conditions de prise en charge des activités multimodales séquençant un parcours FOAD ou AFEST, offre une souplesse propice en vue de mieux répondre aux besoins des apprenants et c’est une bonne nouvelle !
Jacques Bretaudeau (http://www.cafoc.ac-nantes.fr/) et Jean Vanderspelden – (www.iapprendre.fr)
- (1) : OPCO, associations Transition Pro, AGEFIPH, Pôle Emploi, Régions et autres.
- (2) : article R. 6313-3 (créé par décret n°2018-1330 du 28 décembre 2018 – art. 2) : La réalisation de l’action de formation composant le parcours doit être justifiée par le dispensateur par tout élément probant.
- (3) : article L6313-1 du code du travail : L’action de formation […] se définit comme un parcours pédagogique permettant d’atteindre un objectif professionnel […]
- (4) : cf. exigence RNQ : critère 1 – indicateur 2 [Le prestataire diffuse des indicateurs de résultats adaptés à la nature des prestations mises en œuvre et des publics accueillis] et critère 3- indicateur 11 [Le prestataire évalue l’atteinte par les publics bénéficiaires des objectifs de la prestation])