Imaginez un député qui fustigerait lors d’une interview télévisée le manque d’éthique au sein de la classe politique. Imaginez ensuite que ce même député se présente à une élection nationale en affirmant qu’il compte rehausser l’exigence d’exemplarité. Imaginez enfin qu’on découvre que ledit député faisait bénéficier son épouse d’un emploi fictif. Quel crédit aurait soudain sa candidature et son programme ?
Ce qui vaut pour la vie publique vaut pour l’entreprise. Si diffuser une culture apprenante commence par faire en sorte que tous les collaborateurs partagent une vision commune du monde qu’ils ambitionnent de dessiner, il faut en même temps que cette culture soit incarnée au plus haut niveau.

Si les dirigeants ne respectent pas dans leurs actes les valeurs qu’ils portent au pinacle dans leurs discours, comment espérer que les collaborateurs y adhèrent ? Mais alors, comment devraient se comporter des dirigeants pour favoriser une culture apprenante au sein de leur organisation ?

Être ouvert aux points de vue alternatifs

Que le premier qui n’a jamais dit à son DG ce qu’il souhaitait entendre me jette la première pierre ! Nous savons tous qu’il est très difficile de ne pas jouer pour nos dirigeants la musique que nous savons douce à leurs oreilles, et ce même si nous sommes conscients qu’elle n’ait pas la plus entraînante.
Cette orthodoxie est un des plus grands maux de nos organisations, surtout lorsqu’elle se matérialise dans les programmes « hauts potentiels » car, comme le disait Albert Jacquard, « Plus on est conformiste, plus on est dangereux » (un monde en constant renouvellement appelle l’imagination, non le conformisme).
En revanche, quand les dirigeants montrent au travers de leur propre attitude une vraie capacité d’écoute et une volonté d’encourager les idées qui ne vont pas de soi, celles qui s’opposent à la doxa ou celles qui viennent de nulle part, ils invitent leurs collaborateurs à faire preuve d’audace et emprunter des chemins nouveaux.
Là encore, lorsqu’il s’agit de culture, les mots ne suffisent pas ; des actes (pratiques, règles…) sont nécessaires. Prenons ainsi exemple sur ces dirigeants qui, plutôt que de s’en tenir au traditionnel procédé de remontée d’informations, ouvrent leur comité de direction à toute personne porteuse d’un projet innovant.

Accepter les échecs et récompenser les réussites

Chris Argyris, professeur à Yale puis Harvard, l’explique très bien : une organisation apprenante est d’abord une machine à « détecter et corriger les erreurs ».
Des dirigeants qui incitent leurs collaborateurs à apprendre des savoirs et savoir-faire nouveaux ne peuvent, simultanément, exiger d’eux qu’ils ne commettent pas d’erreurs sans risquer de casser leur élan (à condition bien sûr que ces « erreurs » ne soient pas de celles qui contreviennent aux valeurs de l’entreprise).
Pour stimuler les pratiques apprenantes au sein d’une organisation, rien de mieux que de les reconnaître et de les récompenser. Nous sommes tous constamment en recherche de reconnaissance, qu’elle vienne de nos pairs ou d’un manager. Il ne s’agit pas nécessairement ici de féliciter un collaborateur dès qu’il entame une démarche d’apprentissage mais de l’encourager, de l’accompagner (par exemple en s’intéressant à ses progrès) et enfin de récompenser les plus exemplaires.

Transmettre ses connaissances et ses compétences

Comment un dirigeant qui n’a jamais pris le temps de partager son savoir ou son savoir-faire peut-il espérer que ses collaborateurs le fassent ?
Charlene Li, une auteure américaine, s’est retrouvée face au comité de direction d’une entreprise high tech dont le réseau social d’entreprise (RSE) ne prenait pas. Elle ne leur a posé qu’une seule question. Pas cent, pas dix, une : « Qui parmi vous utilise le RSE ? ». Un seul membre du comité de direction a levé la main. Vous l’avez compris : si les dirigeants les dirigeants ne se servent pas du RSE, ne postent pas, ne lisent pas, autrement dit si les personnes censées montrer l’exemple ne le font pas, comment voulez-vous que les collaborateurs s’y mettent ?
Et pourtant, comme me le glissait un DG, à la fin de votre carrière, vous souviendrez vous de l’Ebitda réalisé en 2017 ? Non. En revanche, vous souviendrez vous des collaborateurs que vous avez véritablement aidés à grandir ? Oui.

Donner le pouvoir de faire

Comme l’ont montré David et Lisa Rock et al. de l’université de Sydney au travers de leur modèle AGES (attention, generation, emotion et spacing), les neurosciences nous confirment dans l’idée qu’un apprenant ne retiendra jamais aussi bien ce qu’il a appris que s’il en est lui-même à l’origine.
A minima, cela demande de solliciter tous les sens de l’apprenant en situation de formation et non seulement la vue ou l’ouïe. Au-delà, cela requiert d’inciter l’apprenant à adapter son apprentissage à ses aptitudes et à son contexte personnels. Mais plus profondément encore, cela revient à faire en sorte de le laisser lui-même concevoir et produire aujourd’hui ce qu’il appliquera demain.
C’est pourquoi un dirigeant ne devrait pas se soucier de la façon dont la vision et la stratégie qu’il impulse sont mises en application. Moins il s’intéressera au « comment » des choses, plus il laissera à ses collaborateurs le soin de se doter eux-mêmes des moyens nécessaires à l’atteinte de leurs objectifs (et, au passage, de se fixer eux-mêmes leurs objectifs !), plus il les placera dans une position propice à l’apprentissage et donc à l’amélioration de leurs performances.

Ces qualités, parmi d’autres (avec Peter Senge, on pourrait par exemple ajouter la pensée systémique), affichées par des dirigeants moteurs peuvent impulser une culture apprenante au sein d’une organisation. À condition que l’environnement global de travail soit, lui aussi, favorable aux pratiques apprenantes. Ce qui sera l’objet du prochain article.