C’est Linda Hill, professeur à Harvard, qui l’affirme et il serait malvenu de la contredire : « En tant que leader, votre rôle n’est pas de monter sur scène mais de monter la scène. »
Une vision claire, de dirigeants investis et un environnement propice sont essentiels à la mise en place d’une culture apprenante. Mais il est nécessaire ensuite que tout cela se matérialise au quotidien. Il faut des procédures, des pratiques, des habitudes pour rappeler, jour après jour, qu’on ne grandit qu’en apprenant en permanence.

De la création à la diffusion des informations

Inciter les collaborateurs à échanger sur leurs pratiques, à transmettre leurs savoir-faire, à aider les autres à progresser peut se faire de nombreuses façons. À commencer par les inviter à recenser ce qu’ils ont appris et comment, tel que l’a fait Xerox en exploitant les possibilités de la plateforme Degreed.
Des pratiques de tutorat comme peut les promouvoir l’association Passeport avenir améliorent les qualités d’écoute et d’empathie tout en favorisant à la fois la transmission des savoirs et le décentrage (le tuteur ayant sous les yeux un tutoré au regard neuf).

Du design thinking

Il n’est plus utile d’insister sur l’importance du retour d’information en formation. C’est d’ailleurs un des principes de fonctionnement de base de notre cerveau. Les neurosciences nous ont appris que notre cerveau était une vaste machine à conjectures. Son mode opératoire élémentaire consisterait à formuler une hypothèse sur le réel et à attendre la réponse dudit réel (l’enfant qui avance sa main vers la flamme n’agit pas autrement). Si l’hypothèse se révèle juste, il n’apprend pas ; en revanche, l’apprentissage survient si le réel apparaît non conforme à sa prédiction. Autrement dit, c’est en échouant qu’on apprend.
Qu’est-ce que cela signifie dans une optique de culture apprenante ? Que plus vite vous recevez un feedback, plus vite vous pouvez réorienter votre approche (tout en sachant que, dans une optique formative, de nombreuses études en psychologie nous invitent à moduler ce temps de réponse – plus rapide au début de la formation et plus lent au fur et à mesure qu’elle avance).
De fait, des pratiques tournées vers le design thinking, qui peuvent d’ailleurs aller jusqu’à restructurer l’expérience employé, avec leur primat de prototypage et du test, consolident le cercle vertueux de l’apprentissage.

De la veille et des échanges avec l’extérieur

Ce n’est pas en restant centré sur soi que l’on apprend ; c’est en sortant de sa zone de confort. L’ouverture sur l’extérieur permet, entre autres, de nous rendre sensibles aux « signaux faibles » qui annoncent les grands changements.
Cette ouverture doit concerner l’ensemble du personnel, comme le rappelle Jean-François Zobrist, et pas seulement quelques fonctions dirigeantes ou commerciales.
Pour le dire avec Philippe Carré, il s’agit « de répondre par des démarches autonomes à trois types de sollicitations : la contrainte (professionnelle ou économique), l’opportunité (particulièrement à l’occasion de rencontres ou d’événements de vie) et la sérendipité, démarche de recherche ou d’information sans but prévis, qui mène à des découvertes inattendues. » (Apprendre par soi-même aujourd’hui, éditions des archives contemporaines, 2016).

De la contribution de chacun

Enfin, il ne serait pas pertinent de clore cette série sur la culture apprenante en faisant abstraction des pratiques de travail en équipe. Car il y a actuellement un regain d’intérêt pour la notion d’équipe. Mais comme elle mériterait à elle seule une autre série d’articles, limitons-nous à un point en particulier.
Ainsi que le rappelle Fabien Fenouillet, on doit vers la fin du 19e siècle (1897) au psychologue Triplett le concept de « facilitation sociale ». En quoi consiste-il ? Triplett observe que les coureurs à vélo vont plus vite lorsqu’ils courent ensemble que lorsqu’ils pédalent en solo. Il y a donc un gain au seul fait de travailler en équipe, même quand ce n’est pas un « sport collectif », même quand chacun ne doit compter que sur lui-même pour avancer.
Quelques années plus tard, au début du 20e siècle (1913), c’est au tour d’un autre psychologue, Max Ringelmann, d’avancer un nouveau concept : celui de « flânerie sociale ». Il observe de son côté des tireurs à la corde et il montre que la force moyenne déployée par chaque individu est plus faible lorsqu’il tire avec tous les autres que lorsqu’il s’exerce seul.
Pourquoi cet écart entre les deux situations ? Pourquoi les cyclistes pédaleraient-ils plus vite en groupe et les tireurs à la corde tireraient-ils moins fort en groupe ? Principalement parce que, dans le second cas, les tireurs ne peuvent pas évaluer la contribution des autres membres de l’équipe (et la leur) à la performance collective. Les cyclistes se rendent bien compte des coureurs qui prennent les relais et de l’intensité desdits relais, mais allez demander à un tireur à la corde si son voisin y met toute son énergie ! D’ailleurs, l’impact de chacun sur le travail du groupe et du groupe sur le travail de toute l’organisation apparaît également comme une des caractéristiques des équipes performantes si l’on en croit les conclusions du projet Aristote mené chez Google.
C’est tellement vrai qu’une étude du cabinet McKinsey affirme que les dirigeants ont cinq fois plus de chances d’estimer qu’une transformation organisationnelle est réussie dans les équipes où les collaborateurs comprennent en quoi leur travail participe du projet global de l’entreprise.

La culture apprenante, cet « état d’esprit unissant une communauté de travailleurs qui, ensemble et en permanence, cherchent à développer leur performance au travers de nouvelles connaissances, nouvelles compétences et nouvelles pratiques afin d’atteindre les objectifs de leur entreprise. » pour le dire avec Stephen J. Gill, ne se diffuse pas en un jour. Il est même conseillé de commencer avec une équipe motivée et des managers convaincus de son intérêt pour éviter de dépenser en vain son énergie.
Le développement d’une organisation passe d’abord par le développement personnel et collectif des personnes qui la composent. Offrons-leur des conditions pour progresser chaque jour et les bénéfices qu’ils en tireront rejailliront sur tous.

Mettre en place une culture apprenante (1/5) : pourquoi ?
Mettre en place une culture apprenante (2/5) : une vision claire et partagée
Mettre en place une culture apprenante (3/5) : des dirigeants qui montrent l’exemple
Mettre en place une culture apprenante (4/5) : un environnement favorable