Le serious game est plutôt à la mode en ce moment. Même si j’ai l’impression qu’il perd un peu de vitesse chez les experts, j’ai l’impression qu’il gagne en notoriété auprès du grand public de la formation à distance. Et pour cause, apprendre en s’amusant peut-être très performant (http://www.sup-numerique.gouv.fr/cid101595/jeux-serieux-avantages-et-limites.html).
Encore faut-il savoir ce qu’est un jeu sérieux…

Le contexte

J’ai eu à assister une équipe dans une grand structure dans la réalisation et la mise en place d’une formation à distance (y compris un début de process) au sein d’un service de formation en pleine mutation vers le digital. Plusieurs équipes sont constituées avec chacune leurs projets à gérer mais regroupés au sein d’un même LMS. Autant dire que pour la cohérence des contenus, ils vont avoir pas mal de travail.

Ils semblent aujourd’hui avoir opté pour un outil auteur commun, mais ce n’était pas le cas au tout début. Malheureusement, si les équipes de production (ce qui inclue également la conception) sont sensibles au digital et semblent comprendre les enjeux de la conception et du process, il semblerait que ce soit moins le cas d’une partie des équipes de directions. Aussi, au démarrage, probablement pour faire bonne impression, pour faire moderne et « branché », une responsable a décidé de créer un « serious game ». Une idée intéressante en soi, si tant est qu’on sache où l’on va.

Le problème est justement une connaissance assez limitée, à la fois du digital et des jeux vidéos. L’utilisation de graphisme en 3D temps réel n’est pas suffisant pour qualifier une formation de serious game. Heureusement, un jeu sérieux, c’est beaucoup plus que ça, mais malheureusement, on le limite souvent au graphisme et au scoring.

Quelles critiques pour cette unité d’apprentissage ?

La communication

Tout d’abord la communication avec le terme de « serious game » pour deux raisons :

  1. L’apprenant sera déçu au terme sa formation. Il se sera bien rendu compte qu’il ne s’agit pas d’un jeu sérieux, mais d’une succession de QCM avec un habillage plus ou moins esthétique selon les goûts de chacun.
  2. La prochaine fois qu’on voudra présenter un jeu sérieux aux apprenants, ils seront méfiants et commenceront le module avec un a priori négatif ; ce qui n’est pas forcément la meilleure des conditions pour un apprentissage efficace.

La technique

Le logiciel utilisé (VTS de Serious Factory) était en revanche une bonne idée car il semble assez puissant pour créer des simulations de dialogues avec des embranchements assez fins. Une solution intéressante pour créer des jeux sérieux simples à base d’échange avec un interlocuteur virtuel, pratique pour des mises en situation client par exemple.

La conception

Le problème, c’est qu’aussi bon soit le logiciel utilisé, si la conception est mauvaise (pour un jeu), il ne sortira jamais un serious game par magie. Et c’est précisément là que se situe le soucis. Pour réaliser un serious game, encore faut-il savoir ce qu’est un jeu vidéo et avoir une certaine sensibilité pour ce média (cet art ?). En effet, comme expliqué précédemment, le résultat de cette production n’est au final qu’une série de QCM habillée avec de la 3D (plus ou moins réussie selon différents avis).

Voici à peu près comment se présente le « jeu » :
Vous rentrez au bureau après une absence de plusieurs semaines  et un nouveau concept de travail a été mis en place ; un collègue est chargé de vous l’expliquer. S’en suit un dialogue entre votre collègue et vous qui consiste à lui poser des questions et reformuler ses réponses (les QCM). Si vous avez faux à un QCM, un feedback apparaît vous expliquant la bonne réponse, et vous poursuivez le dialogue.

Le premier problème qu’on relève tout de suite est la linéarité du parcours. Que vous répondiez correctement ou non, la suite sera exactement la même. Le niveau de rejouabilité est donc nul et l’immersion inexistante. Retirez le personnage en 3D, vous avez un quiz basique.

Le second problème est le décalage entre la forme et le fond. On est dans une mise en situation, ce qui implique a priori, la mise en pratique des connaissances, or, on se retrouve avec un contenu d’apport théorique. Chaque dialogue fait dix lignes, c’est long à lire et le rythme est donc relativment lent alors qu’on devrait enchaîner rapidement les choix de dialogue comme dans une conversation (les jeux Telltale vont jusqu’à limiter le temps de réflexion pour choisir le dialogue souhaité pour plus de réalisme, ce qui n’est pas forcément facile avec un jeu en anglais sous-titré quand il faut choisir son dialogue pendant que les autres personnes continuent de parler).

Au final, on s’ennuie et on a hâte que ça se termine.

Ce qu’il aurait plutôt fallu faire.

À mon sens, l’idée du serious game était intéressante, mais à réaliser différemment.

Tout d’abord je pense qu’il aurait fallu diviser le module en deux unités d’apprentissages distinctes :

  1. L’apport théorique
  2. La mise en pratique

Le serious game aurait été la mise en situation, mais avec un scénario différent. Au lieu d’une discussion entre deux collègues, il aurait fallu préférer une situation « réelle » avec un « client » qui permette la mise en pratique des notions de l’apport théorique.  De plus, plutôt qu’une progression linéaire, peu réaliste et peu immersive, une progression conditionnelle avec de multiples embranchements aurait été préférable afin d’avoir une certaine rejouabilité (là encore Telltale font ça très bien, mais il n’est pas nécessaire d’aller aussi loin qu’eux) et avec un seul bilan à la fin de l’entretien afin de ne pas casser le rythme du jeu et d’être plus réaliste ; la finesse de la gestion des réponses dans VTS permettant d’avoir un bilan précis en fonction de chaque réponse donnée au fur et à mesure du module.

En conclusion

Au final, le projet a été mené dans la précipitation pour lancer la migration vers le digital mais sans réelle connaissance de la technologie ni le recul nécessaire pour un tel projet.

La première solution aurait-été de ne pas parler de serious game, tout simplement.

La seconde, plus complexe, aurait été de demander l’assistance de véritables experts du secteur (je pense que Serious Factory [ou Learning Sphere] aurait pu fournir cette aide mais n’ont, a priori, été sollicité que sur la partie intégration technique dans leur logiciel). Cependant, cela présuppose d’avoir un planning réaliste de réalisation (ce qui est rarement le cas quand on débute dans les formations à distance) et d’avoir pris conscience de ses lacunes en la matière.