Concevoir une formation est un exercice qui demande une grande rigueur, particulièrement si elle est multimodale. Il est indispensable d’appliquer les règles fondamentales de l’ingénierie. Il s’agit d’un exercice inhabituel pour qui enseigne, forme dans des conditions traditionnelles comme le présentiel.

En présentiel, la relation aux apprentissages est fortement renforcée par la détection des différents signaux perceptibles, notamment les signaux faibles que détecte instinctivement le formateur. Il adapte sa relation avec les apprenants et peut adapter l’approche des apprentissages de ses derniers en temps réel. Mais, lorsque la formation devient multimodale, et donc propose des phases d’apprentissage en asynchrone, le formateur, qui devient concepteur, est bien démuni, car il ne peut adapter en temps réel sa relation à l’apprenant, ni la relation de l’apprenant aux divers apprentissages.

La conception de formation digitale, multimodale ou non, implique alors d’anticiper cette relation aux apprentissages. Elle impose de réaliser une ingénierie qui assure la qualité de ces apprentissages. Pour s’en assurer, il faut agir de manière progressive, par étapes. Il existe notamment deux grandes étapes dont il n’est pas possible de se passer dans la conception de ce type de formation. Il s’agit de l’ingénierie didactique et de l’ingénierie pédagogique. Ces deux phases ont des rôles différents, mais indispensables.

L’ingénierie didactique

Sans entrer profondément dans l’art de la didactique, on peut s’autoriser à résumer celle-ci comme la mise en relation des savoirs, des connaissances avec l’apprenant. En résumé, et pour ce qui concerne celui ou celle qui veut concevoir une formation, il s’agit de mettre à disposition les ressources et autres activités au juste moment dans la formation.

L’ingénierie didactique consiste donc à réaliser un premier scénario de sa formation en considérant les apports (connaissances) indispensables. 

Pour les personnes qui ne sont pas expertes du sujet traité (ce qui est généralement le cas des ingénieurs pédagogiques), il s’agit d’entrer en relation avec les connaissances au travers d’échanges avec les experts métiers. Cette relation permet de définir les connaissances indispensables à construire le futur parcours de formation. On procède lors de cette étape à la mise en œuvre du parcours en organisant l’ordre et la manière dont les connaissances, et les ressources seront organisées.

À l’image d’un mur que l’on voudrait construire, cette étape permet de déterminer qu’il est indispensable de commencer par les fondations, puis le premier rang de brique, puis le second, tout en décrivant les éléments indispensables à cette construction.

Il est donc indispensable de se préoccuper en priorité de la capacité offerte à chaque apprenant d’atteindre tous les objectifs proposés. Pour cela, un outil indispensable est à notre disposition.

La taxonomie de Bloom

Imaginé par Benjamin Bloom au XXe siècle, alors que le béhaviorisme était au sommet de sa gloire, celui-ci apporte son regard de psychologue sur les capacités de chacun à apprendre. Il met en avant une taxonomie comportant six niveaux qui décrivent les différentes étapes indispensables, à chaque personne, pour acquérir de nouveaux savoirs et les mettre en application. Cette taxonomie trouve un lien logique avec l’approche par objectifs inventés par Ralph Tyler⁠1.

Pour comprendre la relation entre cette taxonomie et l’approche par objectif, il suffit d’observer le graphique ci-dessous.

La taxonomie de Bloom (révisée⁠2) fournit de nombreux exemples de verbes utilisables pour écrire les objectifs pédagogiques d’une formation. Elle permet de considérer les étapes indispensables pour assurer à chaque apprenant la capacité de franchir tous les paliers, décris en objectifs, en assurant des difficultés d’objectifs atteignables.

La pédagogie par objectifs

De son côté Ralph Tyler, initiateur de la pédagogie par objectif propose une organisation scientifique et rationnelle de l’enseignement.  Selon lui, les objectifs doivent être définis en matière de comportements attendus.

Un objectif pédagogique en formation doit, en plus du respect de la progression, assurer la progressivité rendant accessible l’atteinte de chacun d’eux. Et, pour cela, ils doivent respecter certaines règles. 

Un objectif pédagogique doit être :

  • Spécifique (dont l’énoncé englobe une compétence)
  • Mesurable (que l’on peut mesurer, évaluer)
  • Atteignable (adapté au niveau des prérequis)
  • Réaliste (cohérent)
  • Temporellement réalisable (dois pouvoir être réalisé dans un temps donné)

On dit alors d’un objectif qu’il est SMART.

Il doit notamment informer sur ce que l’apprenant doit réaliser (une performance), les conditions dans lesquelles la performance doit être réalisée, ainsi que le critère (la qualité ou le niveau de performance).

La performance décrit un résultat attendu, soit une action, un acte… Par exemple :

Être capable de courir un 100 mètres 

La condition décrit le type de déroulement attendu, les modalités imposées. Par exemple :

Être capable de courir un 100 mètres, sur un terrain sec 

Le critère décrit la qualité de la performance attendue. Par exemple : 

Être capable de courir un 100 mètres, sur un terrain sec et en moins de vingt secondes 

Un objectif pédagogique sert à décrire une performance prenant la forme d’un comportement observable que l’apprenant pourra accomplir et qui pourra être évaluée. Alors, l’objectif est dit opérationnel, car il permet d’établir la preuve de son atteinte par l’apprenant. Ce dernier acquiert alors une nouvelle compétence ou connaissance. L’écriture des objectifs pédagogiques est réalisée à partir des différents niveaux de la taxonomie de Bloom afin d’en assurer la progressivité et l’opérationnalité. Parmi les différents objectifs, nous trouvons d’abord ceci :

Et du point de vue du concepteur de la formation nous obtenons ceci :

L’ingénierie pédagogique

L’ingénierie pédagogique est le prolongement naturel de l’ingénierie didactique. Les deux se fondent pour constituer ce qui apparaît comme une formation adaptée aux besoins et assurer la réussite de chaque participant.

Quand les objectifs de la formation sont clairement définis, et les contenus indispensables choisis, l’ingénierie pédagogique va permettre la mise en relation de ceux-ci avec l’apprenant.

L’ingénierie pédagogique consiste en une approche méthodique rationnelle et progressive qui permet d’étudier, analyser, et adapter les contenus définis par l’ingénierie didactique. 

Cette étape de l’ingénierie porte spécifiquement sur la mise en place de dispositifs de formation qui répondent aux objectifs pédagogiques. Le but de l’ingénierie pédagogique est de concevoir des outils pédagogiques adaptés aux apprenants. Elle permet de gérer les différents dispositifs visant à l’acte d’apprentissage comme l’utilisation des technologies, la formation formelle, non formelle et informelle, ainsi que l’accompagnement.

L’ingénierie pédagogique définit les modalités selon les différents courants en cours dans notre société. Du béhaviorisme au socioconstructivisme, l’ingénierie détermine les meilleurs choix en fonction notamment de l’utilisation des différents temps d’apprentissages, des types d’apprentissages, ainsi que des lieux et temps, qui sont désormais possiblement multipliés avec les nouvelles technologies.

C’est au concepteur de procéder aux choix pédagogiques. Pour cela, il doit détenir des connaissances en sciences de l’éducation, psychologie cognitive et neurosciences. Il doit proposer des objectifs dits « opérationnels » sur lesquels il sera possible de s’appuyer pour extraire les critères d’évaluations. Il découpe ensuite sa formation en autant d’objectifs spécieuse de nécessaire. C’est cette dernière étape qui favorise la progressivité, et donc qui assure à chaque apprenant sa capacité à franchir chaque étape, quelles que soient ses capacités.

Il détermine alors comment et pourquoi un choix pédagogique sera plus profitable qu’un autre aux apprenants. Il opte pour les solutions les plus adaptées selon les conditions d’accès au dispositif, selon les cibles. Ou encore selon la nécessité pédagogique de proposer des savoirs ou des savoir-faire par exemple. 

On peut donc retenir que l’ingénierie didactique vise à déterminer les contenus nécessaires, et la manière dont ils seront mis à disposition des apprenants, pour produire les effets attendus en formation. L’ingénierie pédagogique vise à déterminer comment les savoirs, les connaissances, vont être proposés pour que les apprenants puissent apprendre en toutes circonstances.


1 https://en.wikipedia.org/wiki/Ralph_W._Tyler

2https://wiki.teluq.ca/wikitedia/index.php/Taxonomie_de_Bloom_révisée_(Anderson_et_al.)