Tous prochainement «Digital Natives» ? Vraiment !
Tous prochainement «Digital Natives» ? Vraiment !
Cet article a été publié en juin 2017 initialement sur la plate-forme européenne EPALE en deux parties, suite à mon intervention en tant qu’expert EPALE lors des 8ème assises nationales du réseau des Ateliers de Pédagogie Personnalisée organisées par l’APapp, à Arras en 15 juin 2017.
Partie 1 : le constat https://ec.europa.eu/epale/fr/blog/tous-prochainement-digital-natives-vraiment
Partie 2 : quatre pistes https://ec.europa.eu/epale/fr/blog/tous-prochainement-digital-natives-vraiment-0
Malgré les nuances apportées par Marc Prensky lui-même, le terme de «Digital Native» continue régulièrement de susciter des débats ! Les jeunes sont-ils, ou non, des «Digital Natives» ou «Digital Naifs »? Etre «Digital Native» a-t-il un sens ? Les Digital Natives sont-ils (tous) plus performants dans leurs usages du numérique ? «Digital Native» est-il synonyme de Génération Y ? Etc…
«Digital Natives» pourrait être traduit par «ceux qui sont nés avec le numérique», par opposition avec les «Digital Migrants» «ceux (dont je fais partie !) qui ont fait l’effort de s’acculturer et de pratiquer progressivement» le numérique. Dans les deux cas, il s’agissait, plus ou moins efficacement de faire face au tsunami numérique, dans toutes les strates de notre société, dite de la connaissance. Marc Prensky [2001] a été, semble-t-il, l’un des premiers à déceler et à proposer et à formaliser un effet générationnel. Cet effet marquerait ces nouveaux comportements liés aux multiples pratiques du numérique à des fins personnelles, sociales et professionnelles. Très vite, de nombreuses réserves, ou critiques, ont été apportées sur cette typologie binaire, certes d’apparence simpliste (et donc, réductrice), mais qui a eu le mérite de souligner un phénomène sociétal unique dans l’histoire de l’humanité : deux générations jeunes (Y et Z) apprenant, de fait, à des générations plus âgées (Papy Boomer et génération X) des modes d’interactions inédits, y compris pour apprendre. Michel Serres a connu la même polémique avec son livre [2012] sa «Petite Poucette» tenant dans sa main, avec ses deux pouces, maintenant l’ordiphone qui change ses relations avec le monde et avec ses connaissances, au deux sens du terme.
Entre les «Digital Natives», sensés se débrouiller spontanément en adoptant rapidement les nouvelles applications, et les «Digital Migrands» cherchant par leur effort continue en s’adaptant, figurent aussi ce que j’appelle, pour rester dans la ligne anglosaxonne, les «No Digitals». Doit-on penser que ces personnes sont dans l’incapacité d’entrer dans cette dynamique alors que la génération née avec Internet serait dotée d’un capital culturel qui la rendrait efficace avec les objets connectés et les usages associés ? Dès [2011], Nicholas Carr apportait des éléments de réponse dans son célèbre livre «Internet rend-il bête ? ».
Les «No Digitals» rassemblent des personnes qui, pour des raisons variables , ne «pratiquent» pas ou très peu le numérique ! D’évidence, parmi cette troisième catégorie on décompte de trop nombreux jeunes qui sont, donc, à la fois qualifiés de «Digital Natives», sans en avoir les attributs attendus ! Du coup, la double peine s’applique ; jeunes et incompétents numériquement parlant ; dur ! Aussi, nous souhaitons nuancer le regard que nous posons sur les jeunes en vue d’ajuster notre accompagnement dans les parcours de formation. Pour cela, à partir de la lecture d’articles essentiellement, mais aussi de livres, de vidéos en ligne et de notre expérience professionnelle, nous proposons, dans une seconde partie de cet article, d’élargir les caractéristiques des jeunes dits «Digital Natives» en décrivant succinctement quatre profils évolutifs, et parfois cumulatifs, sous l’angle particulier des apprentissages ; les pointu(e)s, les opérationnel(le)s, les suiveurs-veuses et les débutant(e)s.
1/4 Les pointu(e)s. Leur principale motivation repose sur la gestion rapide des nouveautés dans le champ des technologiques numériques. On peut dire qu’ils sont gâtés ! Les pointus que l’on retrouvent aussi sous le terme de «Geek» sont en mode veille et exploration permanente, en s’appuyant grandement sur la puissance de la curation numérique. Le numérique est leur sujet principal d’apprentissage, voir exclusif pour certains. Cette expertise, source de reconnaissance, se développe et s’entretient au sein d’un communauté restreinte. Ils sont capables de contourner ou de détourner, à leur profit, des limites, imposées ou cachées, du monde numérique ; ils maitrisent parfaitement leurs identités numériques et ajustent en permanence leur Environnement (numérique) Personnel d’Apprentissage (EPA).
2/4 Les opérationnel(le)s. Ce deuxième type de «Digital Native» a très clairement un usage ciblé du numérique pour apprendre avec efficacité. Ils forment des communautés collaboratives dans lesquelles ils s‘entraident dans leur capacité à se former tout au long de leur vie. Ils sont en mode «Apprenance» en saisissant avec les outils et les ressources numériques, toutes les occasions pour mieux s’informer, mieux interagir, mieux produire, mieux collaborer, et donc au final, mieux apprendre. Ils utilisent le numérique pour se valoriser à titre personnel et professionnel en étant actifs sur les Réseaux Sociaux d’Entreprises. Face aux stratégies marketing portées par Big Data, ils résistent en agissant avec prudence aux données personnelles partagées et gèrent au mieux leur temps avec et sans écran et connaissent l’intérêt des Tiers Lieux.
3/4 Les suiveurs-euses : Cela pourrait être la population la plus importante en effectif. La dynamique de cette population repose sur la complicité (apparente) que crée la pratique du numérique au sein de communautés plus ou moins égocentrées. Ils sont en mode «usages typés», quelque fois superficiels et ne tirent pas systématiquement profit de leurs pratiques du numérique pour conforter leur apprentissage. Ils sont actifs numériquement parlant pour réseauter, et au final, pour apprendre variablement à se socialiser. C’est l’un des enseignements positifs rapportés par Danya Boyd dans son livre [2016] «C’est compliqué !». Ce livre traite des comportements, (dans des rapports souvent surprenants avec les adultes), des adolescents des USA. Paradoxalement, dans cette population, on trouve des jeunes ayant une haute densité d’usages faibles du numérique dont certains frôlent l’addiction à l’écran. Beaucoup de leur temps est consacré à l’utilisation de l’ordiphone et de ses multiples applications ; du coup, les formateurs constatent avec surprise que beaucoup de «suiveurs» ne savent pas bien utiliser pleinement un micro-ordinateur, gérer son disque dur, les antivirus, les cookies, les adblokers, les sauvegardes et exploiter les applications bureautiques !
4/4 Les débutant(e)s : De fait, ces personnes ne bénéficient pas de l’appui communautaire pour apprendre. Les apprentissages s’en trouvent plus difficiles. Ils sont en mode découverte instable et contraint. Le numérique est pour eux, d’abord des objets multiples qu’ils ne maîtrisent pas suffisamment ou totalement. Ils les perçoivent comme compliqués et indispensables. Ils s’y consacrent par nécessité souvent dans des lieux dédiés à la formation. Ce sont souvent, mais pas toujours, des jeunes peu qualifiés. Certains étudiants sont des débutants numériques ! Parmi les pistes possibles pour aider ses population est de travailler transversalement au contenu, sur le concept de «littératie numérique», c’est-à-dire à traiter et profiter d’une information sur, via et par le numérique. Parmi les «débutants», on retrouve ici clairement une partie des «No Digital». En 2016, 17% de la population française se déclare être mal à l’aise avec le numérique. Des débutants, toujours de débutants…
Tous les jeunes ne sont pas des «geeks» ou des «analphanètes» ! Par ailleurs, selon les situations, on peut se reconnaître sur plusieurs profils. Certaines personnes en situation d’illettrisme ont des usages avancés du numérique grâce d’une part, à l’aspect intuitif et visuel des téléphones portables et, d’autre part, aux apprentissages facilités par compagnonnage, rendus possibles par leur maniabilité de proximité. Prudence, prudence, cet article ne vise pas à catégoriser des publics selon leur niveau. Le savoir, autour et avec le numérique, apparaît plus transversal. En revanche, aujourd’hui pour apprendre avec efficacité, une bonne maîtrise du numérique semble être atout majeur. A ce titre, le profil «opérationnel», tant pour les apprenants que pour les appreneurs, apparaît comme une référence intéressante. Dans les parcours de formation que nous mettons en place, surtout s’ils alternent présence et distance (FOAD), nous devons très rapidement prendre en compte la diversité des «Digital Natives». Si, en France, en 2014, 12% des jeunes était qualifié de «NEET» : ni en emploi, ni en Education ou Formation, on peut faire la contre-hypothèse qu’en grande proportion de ces jeunes, en partie hors système, ont des pratiques du numérique régulantes et compensatrices.
Pour faire face à ces enjeux variés, pour les acteurs de l’«Apprentissage tout au long de la vie», il s’agirait de mettre en place, nous aussi, des stratégies communautaires d’apprentissage pour nous appuyer en partie sur «les pointus» et «les opérationnels» indépendamment de leur niveau de formation, pour entraîner «les suiveurs» et «les débutants» dans de nouveaux rapports fructueux au numérique : un numérique facilitant les interactions et les apprentissages pour tous !
Jean Vanderspelden
Intervention lors des 8èmes Assises nationales des APP
Arras le 15 juin 2017 www.iapprendre.fr
EPALE/FFFOD/Learning Sphere