Ce qu’il y a de bien lorsqu’on est consultant indépendant, c’est qu’on peut écrire des choses qu’un salarié pense très fort mais hésite à dire tout haut. Un exemple ?

« Oubliez l’évaluation du ROI de la formation ! »

La première partie de cet article mettait en doute la pertinence de l’évaluation de la formation, notamment au vu des motifs pour lesquels on évalue traditionnellement. Dans cette seconde partie, c’est donc au tour de l’impératif de calcul du retour sur investissement des formations que je voudrais faire un sort.

Là où le bon sens s’évanouit

Imaginez un instant que vous alliez voir votre directeur général et que vous lui annonciez la chose suivante : « Voilà, j’ai identifié des actions qui sont réalisées par une grande majorité de collaborateurs de notre entreprise et je compte mesurer le retour sur investissement de 10 % d’entre elles. » Vous connaissez certainement assez votre DG pour l’entendre vous répondre : « Et pour quelle raison, dites-moi, allez-vous en ignorer les 90 % restants ? » Puis, avec le bon sens qui le caractérise, il ajoutera : « Laissez tomber ces 10 % et occupez-vous des 90 % ! ».

Vu le nombre de DG qui exigent que leur responsable de formation calcule le ROI de chacun des programmes qu’ils montent, vous pouvez donc affirmer – mais pas trop fort, ils risqueraient de vous entendre – que la formation est le seul domaine où leur bon sens s’évanouit.

La marque de la direction générale

Ces 10 %, ce soDucklings walking on the roadnt ceux de la formation « formelle », si l’on en croit le désormais fameux modèle 70/20/10 d’Eichinger et Lombardo popularisé notamment par Charles Jennings. Les 90% restants, ce sont toutes les opportunités d’apprentissage et d’échanges que l’on rencontre au quotidien. Et qui ne sont, elles, jamais évaluées.
Pourquoi cette omission ? Hasardons une première réponse : parce que ce n’est pas si simple (mais calculer le ROI d’un programme de formation ne l’est pas non plus). Et une seconde : parce que la direction générale est en grande partie responsable de ces 90 %.
C’est elle qui permet, ou non, aux collaborateurs de prendre des initiatives sans risquer de se fourvoyer ; elle qui leur offre l’autonomie nécessaire pour progresser sans avoir peur de se voir remettre à leur place par leur manager ; elle qui les incite à partager leurs découvertes ou leurs erreurs sans craindre d’être spoliés ou jugés ; elle encore qui encourage et valorise leurs actions.
Bref, plus la direction générale imprime une dimension apprenante à la culture de son entreprise et meilleur sera le ROI de ces 90 %.

Le véritable enjeu

Au fond, l’enjeu est donc moins d’évaluer la formation que d’évaluer l’apprenance. Mais comment évaluer la capacité d’une organisation à favoriser l’apprenance hors la formation « formelle » ? La première des nécessités consiste évidemment à définir des axes de progression. Cela exige de fixer un cap et de partager une vision. Cela revient aussi à clarifier le rôle, les missions et les compétences de chaque collaborateur et de chaque équipe ou service – l’apprenance pouvant être individuelle ou collective.
Puis, pour faire court, vient ensuite le besoin d’estimer l’évolution des collaborateurs selon chaque axe.

Mais, avant de mettre en place une stratégie spécifique (l’apprenance touchant autant les processus que les mentalités, comme l’explique Peter Senge), quels indicateurs bricoler et suivre pour dessiner une image de la capacité apprenante de l’entreprise ? Voici six pistes possibles :
–    Identifier dans les propos et les actions des dirigeants la fréquence et la nature des incitations à apprendre (car, oui, l’exemplarité est encore aujourd’hui une vertu)
–    Estimer le rapport à l’apprenance de vos collaborateurs (c’est ce que suggère Marc Rosenberg dans un récent article)
–    Inviter les collaborateurs à bâtir leur profil d’apprenant. C’est par exemple le choix de Xerox avec la plateforme Degreed
–    Recenser les contenus conçus et produits par les collaborateurs eux-mêmes et mis à disposition de leurs collègues
–    Suivre l’utilisation du réseau d’entreprise (l’utilité d’un réseau étant proportionnelle au carré du nombre de ses utilisateurs, selon la loi de Metcalfe)
–    Interroger les collaborateurs via un questionnaire en ligne sur ce qu’ils ont appris au cours du mois écoulé (et pourquoi pas communiquer sur les résultats globaux voire récompenser les collaborateurs ou les équipes qui sortent du lot).
Ces indicateurs ne dessilleront pas instantanément votre directeur général mais quelques chiffres bien choisis aident toujours à amorcer une discussion.