De la nécessité d’innover pour que tous les adultes puissent enfin bien se former !
Article, en deux parties, publié en mai 2016 puis en juin 2016 sur le site européen EPALE  de l’Agence française Erasmus+, et repris sur le site du FFFOD www.fffod.fr et sur le site de Learningsphere www.learning-sphere.com

La problématique

Le terme «FOAD», pour Formation Ouverte et A Distance[1], existe en France depuis plus de vingt ans, en France et uniquement en France. Dans les autres pays francophones, on parle plutôt de e-formation. Nos collègues anglo-saxons font référence aux «Digital Learning». Les formations digitales[2] renvoient explicitement aux usages du numérique comme un vecteur aujourd’hui incontournable pour assouplir, fluidifier, enrichir et diversifier les activités de l’apprenant durant les séquences de son parcours de formation. Dans les deux dénominations, «FOAD» ou «e-formation», l’ouverture et la souplesse sont mises en première ligne, sauf qu’avec le terme FOAD, l’ouverture est vite balayée par l’autre terme «Distance» qui l’écrase de tout son poids culturel. Cette suprématie a créé, et crée encore aujourd’hui, incompréhensions, résistances et parfois tensions au sein de acteurs de la formation continue des adultes en France. Dans cette lignée, le numérique est, en grande partie, perçu comme un vecteur déstabilisant de dématérialisation de l’ensemble du process. Le suivi serait mis à distance, au détriment de la relation avec l’apprenant. L’affaiblissement du métier de formateur et l’effritement de contrôle de l’action sont les deux arguments les plus communément avancés contre la mise en place et le financement des actions de types FOAD, sans se soucier souvent de l’avis et de l’intérêt des apprenants. Derrière la mobilisation systématisée du numérique résonne «l’ubérisation» du secteur de la formation, un de plus !

Bien sûr, il n’en est rien, bien au contraire ! Dans une innovation constante, les ressources digitales assurent une nouvelle cohérence dans des dispositifs de formation réinventée, de plus en plus individualisés, massifs et diversifiés. Il s’agit de répondre aux besoins exponentiels de nouvelles compétences dans notre société dite de la connaissance ; des adultes les moins qualifiés (CléA, par exemple ou autres), aux adultes avides de compétences (MOOC ou autres), aux adultes les plus qualifiés (Master ou autres) sur des métiers qui n’existaient pas, il y a cinq ans[3] !

Si la dénomination Formation Ouverte et A distance[4] peut gêner, en particulier les acteurs de la formation ayant une faible culture ou pratique pédagogique, celle de formation multimodale rassure. Elle apparaît de suite plus claire ; une «formation mobilisant plusieurs modalités au profit de l’apprenant dont le présentiel et le distanciel » ! De plus, les décideurs connaissent le transport multimodal[5] et l’énergie multimodale[6]. Cet effet de résonance aide les décideurs à concevoir, et donc à promouvoir, qu’une formation n’est plus systématiquement synonyme de stage assigné à un lieu. On passe du «cours au parcours », du «contenu à l’activité», «de la formation à l’apprenance», etc…

Bref, on invente des écosystèmes d’apprentissage plus souple dans lequel l’apprenant, et ses pairs, vont bénéficier de différentes prestations, dont l’accompagnement, pour mieux apprendre. La communauté normande de professionnels «Communotic»[7] a été la première à proposer une définition «la combinaison de plusieurs modalités et de moyens de formation mis à disposition d’un apprenant pour lui permettre de réaliser son apprentissage dans les meilleures conditions possibles en terme de lieux, de temps, de supports et d’outils numériques ».

Alors FOAD ou Formation multimodale ?

Des pistes

Si la multimodalité aujourd’hui semble convenir à l’ensemble des acteurs, le législateur lui a choisi le terme «FOAD» pour ancrer dans les tablettes de loi, le fait qu’aujourd’hui «un adulte peut apprendre sans la présence continue de son formateur». Il s’agit d’une véritable révolution copernicienne dans une partie du monde de la formation, à l’exception notable des équipes pédagogiques convaincu depuis Karl Roger que «le formateur peut gêner l’apprentissage».  Nous faisons ici explicitement référence au décret sur la FOAD, daté d’août 2014. Il fixe les conditions de mise en oeuvre de parcours de formation qui intègre de plus en en plus systématiquement, dans l’intérêt de l’apprenant, des actions à distance, partiellement ou totalement. Ce décret, un parmi une vingtaine, prend corps dans la loi sur la réforme de la formation professionnelle, datée de mars 2014. Ces deux objectifs fondamentaux sont d’une part, faciliter l’accès à la formation pour tous, surtout les moins qualifiés et, d’autre part, encourager l’innovation dans les pratiques de formation. Dans les deux cas, la FOAD répond à ces attentes. Pendant plus de 20 ans le FFFOD a exercé un lobbying pour faire reconnaître la FOAD comme une modalité d’avenir. Entre temps, le concept de multimodalité a surgi, avec une vision plus porteuse. Le temps de l’action des acteurs de la formation qui a tendance à s’accélérer, n’est pas manifestement le temps du législateur ! Alors que faire ? Peut-être, s’agit-il juste d’affirmer haut et fort que le terme FOAD équivaut à celui de Formation multimodale ou de Formation Digitale. Le premier est important à la vue de l’application du décret éponyme pour sécuriser le financement de ces actions. Le second est fertile en vue de développer des ingénieries innovantes et les vendre auprès des entreprises, des OPCA, des Conseils Régionaux, de Pôle Emploi, de l’AGEFIPH, etc. Le troisième prend en compte la numérisation accélérée des contenus, des process et des territoires.

Si on reconnaît l’équivalence entre FOAD, Multimodalité, e-Formation et Formation Digitale, reste que pour la plupart des décideurs, forts de leur représentation traditionnelle de l’action de formation dans son unité de temps et d’action, la multimodalité se restreint trop souvent à une alternance de temps de formation en présentiel et de temps de formation à distance. Même si cela correspond à une vraie avancée, de notre point de vue, il s’agit là d’une représentation restreinte de la FOAD, de la Formation multimodale ou de la e-formation. Si le législateur reconnaît le droit à un apprenant de dérouler une partie de son parcours de formation sans la présence physique de ses formateurs, alors ipso facto, on légitime et surtout on valorise, à coté de temps de formation, des temps d’autoformation accompagnée. Les compétences d’auto-régulation et d’auto-détermination[8], et donc, de collaboration en résonance avec apprendre à apprendre, viennent enrichir et consolider les compétences clés, les compétences générales, les compétences spécifiques et les compétences métiers.

Mettre en place des actions de formations multimodales, intégrant une série d’alternance complémentaire et cadrée : présence/distance ; formation/autoformation accompagnée ; individuelle/collective ; en centre de ressources/en ligne, synchrone/asynchrone ; transmission/collaboration ; en centre/en situation de travail, formel/informel, … c’est penser collectivement, mettre en oeuvre et réguler une ingénierie assurant une diversité de situations formatives contraignantes, souples et libres[9]. Cette diversité est propice à l’exercice de la liberté et à la responsabilité de chaque apprenant, y compris les plus faiblement qualifiés, pour s’impliquer, apprendre, produire et se valoriser, seul, avec ses pairs, avec ses formateurs et autres personnes ressources.

Loin de l’ubérisation[10] annoncée du marché de la formation, les formations multimodales sont des réponses opérationnelles répondant à la fois aux attentes légitimes des apprenants pour la plupart, de plus en plus connectés qui interagissent différemment via le territoire numérique, y compris pour iapprendre, et aux demandes de qualité des prestations de financeurs privés et publics, en vue d’accompagner un public, de plus en plus large, à se former tout au long de la vie.

Jean Vanderspelden – juin 2016

Jean Vanderspelden est consultant ITG Paris pour l’accompagnement de projets de formation ouverte et à distance, en vue du développement des compétences des adultes. Il travaille sur les conditions d’une alliance fertile entre « Pédagogie des adultes et intégration du numérique » dans les pratiques des acteurs du savoir formant et accompagnant des publics de tous niveaux, y compris les adultes peu qualifiés. – www.iapprendre.fr  Jean Vanderspelden est membre du FFFOD, de Learning Sphere et de MIP+.


[1] Voir production de la conférence de consensus sur la FOAD en Mars 2000  dite « Collectif de Chasseneuil» ; http://www.centre-inffo.fr/IMG/pdf/chasseneuil.pdf : Une Formation Ouverte et A Distance est un dispositif organisé, finalisé, reconnu comme tel par les acteurs, – qui prend en compte la singularité des personnes dans leurs dimensions individuelle et collective, – et repose sur des situations d’apprentissage complémentaires et plurielles en termes de temps, de lieux, de médiations pédagogiques humaines et technologiques, et de ressources.

[2] Le terme digital est d’abord l’adjectif associé au substantif doigt (exemple: Tracé digitalEmpreinte digitaleComput digital ) mais aussi un américanisme commercial traduit en français par numérique, auquel le terme «numérique» doit être préféré d’après l’Académie française. Dans quelques cas, l’usage des mots électronique ou internet est préféré. Les mots web et multimédia sont plus spécifiques. Définition extraite de Wikipédia au 07/05/2016.

[3] Lire article de «Responsable de formation : la formation réinventée pour et par les serials learners» – Antoine Anglade – www.demos.fr/chaines-thematiques/responsable-formation/Pages/serial-learners.aspx – mars 2016

[4] Voir vidéo en ligne de 6’ «De la formation à l’Apprenance, en passant par la FOAD» – accessible sur Youtube https://youtu.be/8h17ts7qAek  – Jean Vanderspelden – 2016

[5] Celui qui permet à tous de se déplacer intelligemment, y compris avec la location de vélo électrique ou le covoiturage grâce à des applications disponibles sur nos ordiphones.

[6] Celle qui permet d’associer à la fois les réacteurs de nos centrales nucléaires, avec l’éolienne de quartier et aussi, avec les panneaux solaires individuels grâce à de nouvelles applications technologiques pour gérer le courant en local.

[7] http://www.communotic.fr/

[8] Voir billet de Matthieu Cisel : http://www.matthieucisel.fr/autodetermination-et-autoregulation-deux-concepts-cle-pour-comprendre-lapprentissage-en-ligne/

[9] « Evolutions de la FOAD : questions de temps et d’espaces». Voir support d’intervention de J. Dubois – Mars 2016 GIP FTLV Bourgogne http://www.foad-bourgogne.org/liste.actualites.6.a.p1/actu.evolutions-de-la-formation-a-distance-par-jacques-dubois-academie-de-dijon.597.php

[10] Voir article «L’ubérisation de la formation est en marche, oui mais comment ?» – THOT novembre 2015 – http://cursus.edu/article/26374/uberisation-formation-est-marche-oui-mais/#.VyIRYjCLQ2w